Crédit photo : Siuxy Sports

On a appris à la fin de la semaine dernière que la direction du Vert & Or de Sherbrooke avait pris la décision de fermer ses programmes masculin et féminin de rugby. Au grand désespoir des étudiants-athlètes et des entraîneurs, qui ont encore une occasion de faire bouger les choses. Mercredi prochain, ils rencontreront la direction pour une session de questions-réponses.

Le rugby n’est pas le sport qui a la plus grande exposition dans nos médias, mais l’annonce a déclenché une réaction très forte dans la communauté. Au moment d’écrire ces lignes, plus de 6 800 personnes ont signé une pétition en ligne demandant le maintien des programmes de rugby à l’Université de Sherbrooke. Mais au-delà des premières réactions émotives, quelles sont les raisons qui ont mené à cette décision?

Simon Croteau, directeur du sport d’excellence Vert & Or, a pris le temps de m’expliquer la décision qu’il n’a pas prise de gaiété de coeur.

« C’était une décision dure à prendre, mais évidente. Mon intention est de voir croître le sport, mais en tant que dirigeant, je ne peux pas envoyer des jeunes étudiants-athlètes à l’abattoir. »

Simon Croteau

La sécurité est l’élément qui ressort en tout premier lieu dans le discours de M. Croteau. De nombreux blessés, autant chez les femmes que chez les hommes, ont amené l’organisation à se poser des questions à plusieurs reprises sur la pertinence de jouer certains matchs. Et ce depuis l’an passé. Parce que se présenter à un match de rugby à XV avec 15 joueurs, c’est problématique. Et c’est arrivé.

Le nombre de joueuses disponibles pour un match devient aussi un problème quand on apprend que certaines disent avoir subi des pressions. En effet, des coéquipières auraient fait comprendre à des joueuses qui n’étaient pas nécessairement en état de jouer que leur absence allait forcer l’annulation d’un match. La direction du Vert & Or a reçu des plaintes à cet effet après la saison 2021.

Des matchs ont réellement dû être annulés cette saison. Notamment, celui devant déterminer la 5e position qui allait opposer les équipes féminines du Vert & Or et des Carabins n’a pas été joué par manque de joueuses et joueurs disponibles. « Trois matchs ont été annulés cette année, ce n’était pas arrivé dans la dernière décennie. C’est donc aussi une question de respect envers nos adversaires qui se préparent pour jouer des matchs qui n’ont finalement pas lieu. »

Mais au-delà du nombre de blessés, il y a un contexte. Plusieurs joueurs et joueuses de rugby à Sherbrooke n’ont pas une grande expérience de jeu, voire pas du tout. Quand des matchs se terminent 117-0 ou 90-0, il y a lieu de se demander si l’écart dans le niveau de jeu n’est pas une préoccupation à avoir.

Une partie du recrutement se fait via un appel à tous à l’intérieur de l’université. Ainsi, des athlètes provenant de différents sports choisissent de se mettre à la pratique du rugby une fois au niveau universitaire. Ils n’ont donc souvent pas le calibre ou les connaissances leur permettant de se protéger face à des adversaires plus aguerris.

Cet argument présenté par M. Croteau est toutefois contesté par l’entraîneuse de l’équipe féminine du Vert & Or, Andi Smith.

« Jamais je ne mettrais sur le terrain une joueuse qui n’est pas prête. »

Andi Smith

Par ailleurs, le recrutement est devenu un enjeu important dans la décision. Simon Croteau m’a démontré graphiques à l’appui que le bassin d’athlètes pratiquant le rugby dans les Cantons-de-l’Est est à la baisse depuis plusieurs années. Deux choses peuvent y avoir contribué. La pandémie bien entendu, mais également la crainte des commotions cérébrales.

Selon les données fournies par M. Croteau, le nombre d’étudiants-athlètes inscrits dans une école secondaire francophone de la région est en baisse flagrant depuis la saison 2016-2017. Soit l’année après la sortie du film Concussion, comme il me le souligne. En 2016-2017, on dénombrait 170 joueuses de rugby dans les Cantons-de-l’Est au niveau secondaire. En 2021-2022, c’était 55. Chez les hommes, on est passé de 109 à 31. Et ce n’est pas le secteur civi qui peut fournir des joueurs, il n’y en a pas davantage.

Cependant, Andi Smith ne voit pas les choses du même oeil. « L’université plafonne à 30 le nombre de joueuses que nous pouvons avoir dans notre équipe. Nous en avions 28 cette année. Là-dessus, 22% viennent des Cantons-de-l’Est. On peut en trouver ailleurs. La majorité des joueuses au Québec sont dans la région de la Capitale-Nationale, on peut aller en recruter là. »

Elle fait également valoir que le cégep de Sherbrooke vient d’ouvrir son programme de rugby, qui s’ajoute à ceux de Saint-Hyacinthe et Victoriaville et qui seront en mesure fournir d’autres joueuses avec de l’expérience. Sur 25 nouvelles recrues potentielles qui ont déjà souligné leur intérêt pour 2023, au moins les deux tiers auraient de l’expérience au niveau collégial.

L’entraîneuse, ancienne joueuse étoile des Gaiters de Bishop’s, ajoute : « Le 1er décembre, nous venions de signer une entente avec une équipe en France pour un échange qui allait permettre à nos joueuses d’aller s’entraîner là-bas en plus d’offrir à nos meilleures la chance de poursuivre la pratique de ce sport après l’université. On pourra aussi accueillir des joueuses françaises qui souhaitent étudier à Sherbrooke. »

La direction du Vert & Or a demandé et obtenu un délai de la part du RSEQ pour finaliser l’inscription de ses équipes en vue de la saison prochaine. Simon Croteau profitera du délai pour tenir une session de questions-réponses avec les entraîneurs et les athlètes ce mercredi. Pour l’occasion, la direction présentera ses chiffres. Les entraîneurs et les joueurs feront valoir le soutien qu’ils ont obtenu de la communauté du rugby québécois et leur capacité à recruter des athlètes d’expérience pour 2023. Ils poseront également des questions pour comprendre ce que l’université juge être un manque d’expérience.

En espérant que d’ici là un peu de poussière sera retombée. Suffisamment du moins pour que les discussions soient constructives. Les menaces envoyées à Simon Croteau durant la fin de semaine n’ont aucune chance de faire avancer le dossier. De son côté, il déplore que certains mettent de l’avant qu’il ne s’agit là que d’une décision administrative.

Croteau, lui-même athlète et entraîneur durant sa carrière, persiste et signe. Si on n’arrive pas avec une cohorte de joueurs et de joueuses expérimentés et une preuve qu’on pourra en amener chaque année, ce sera très difficile de lui faire changer d’idée. C’est une question de sécurité.

Quand on lui a demandé s’il regrettait sa décision après la levée de bouclier de la fin de semaine, Simon Croteau a été très direct : « C’est émotivement difficile de prendre une telle décision. On ne veut pas réduire l’offre sportive à Sherbrooke, mais je ne pourrais pas me pardonner qu’un incident majeur survienne à un étudiant-athlète parce qu’on ne les aurait pas protégés adéquatement. Logiquement, c’était la chose à faire. »

Les entraîneurs et les joueurs ont-ils des solutions viables à proposer pour garantir une pérennité?

À suivre…

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