Photo : Hanna Bunton et Mélodie Daoust / Crédit : Sébastien Gervais photos
Dimanche dernier, alors que je déambulais bière à la main au tailgate d’avant-match Carabins-Rouge et Or, j’ai croisé par hasard des gens du Collège Bourget. Ceux-ci m’ont parlé de leur équipe de hockey féminin mise sur pied en avril dernier. Ils m’ont partagé que l’équipe ne serait pas reconnue par Hockey Québec. Un cas qui fait beaucoup jaser…
On a ici deux visions qui s’affrontent à propos du développement du hockey féminin au Québec. D’un côté, il y le Collège Bourget avec ses entraîneures renommées Mélodie Daoust et Hanna Bunton qui ont lancé en avril dernier un programme de hockey basé sur le modèle « prep school ». De l’autre, il y a Hockey Québec et les structures déjà existantes qui encadrent le hockey féminin, notamment via la Ligue de hockey excellence du Québec (LHEQ).
À noter que les « prep schools » sont des écoles qui offrent une sixième année de secondaire qui permet d’éviter le passage par le cégep. Il est important de savoir que la sixième année du secondaire n’est pas reconnue par le ministère de l’Éducation du Québec. Toutefois, il est possible d’être accepté à l’université sur la base d’une sixième année de secondaire, mais une année préparatoire pourra être requise avant d’intégrer un programme officiellement, comme c’est notamment le cas à l’Université de Montréal.
Toutefois, l’histoire va au-delà de deux offres différentes pour encadrer le hockey féminin. Car des deux côtés, on respecte l’approche de l’autre et des deux côtés, on dit ne pas avoir l’intention d’empêcher l’autre de fonctionner. Cependant, on a clairement une façon de faire avec le programme du Collège Bourget qui vient bousculer les habitudes d’un écosystème que plusieurs qualifient de fragile.
Le réputé journaliste Martin Leclerc de Radio-Canada a rédigé une chronique parue lundi à propos de cette situation. Selon lui, on assiste à un cas similaire à celui qu’a vécu le hockey scolaire masculin lorsqu’il a voulu s’organiser pour créer une structure d’élite il y a une douzaine d’années. On aurait en face de nous un autre exemple du protectionnisme caractéristique du hockey québécois. Leclerc dénonce ce qu’il voit comme du corporatisme au détriment du libre choix des joueuses de hockey.
Pour la triple médaillée olympique Mélodie Daoust, le projet de « prep school » du Collège Bourget répond à une demande. « Chez les garçons, il y a trois options à cet âge-là : le civil, le scolaire et les « prep schools ». Pour les filles, il n’y a que le civil (LHEQ) pour développer notre élite. Il faut leur donner plus d’options. Le civil correspond très bien aux besoins pour des joueuses alors que notre modèle est une meilleure option pour d’autres. Et c’est tant mieux si l’offre de services peut s’agrandir. »

Celle qui occupait un rôle d’entraîneure-adjointe avec les Carabins de l’Université de Montréal la saison dernière veut s’attaquer à la structure actuelle de développement qui ne donne pas de résultat, selon elle. Et d’après ses observations, c’est le modèle des « prep schools » qui a permis au hockey féminin de grossir ailleurs au Canada, en Colombie-Britannique notamment.
Il faut vivre dans le fond d’un trou pour ne pas voir le développement du hockey qui se fait ailleurs.
Mélodie Daoust, responsable du programme de hockey féminin au Collège Bourget
Bien qu’on doive lui accorder raison sur le succès des « prep schools » en Colombie-Britannique, est-ce que cela signifie qu’on pourrait appliquer cette recette au Québec? Plusieurs intervenants en doutent.
Isabelle Leclaire, entraîneure-chef des Carabins de l’Université de Montréal, est nuancée dans ses propos. Elle n’est pas contre l’idée d’offrir plus de choix aux joueuses et encore moins de les laisser faire ces choix. Par contre, elle questionne l’impact réel que ce modèle pourra avoir sur le développement du hockey au Québec.

« C’est préoccupant pour notre modèle actuel. Ça dépend toujours de la façon dont les choses sont présentées, mais offrir une sixième année de secondaire pour permettre un passage direct à l’université, ça risque de diriger des joueuses directement à l’extérieur de la province alors qu’on veut les voir intégrer nos cégeps et nos universités. »
Selon Isabelle Leclaire, il y a cependant un enjeu important à régler.
Que le Collège Bourget ne soit pas accepté au sein de la fédération, c’est une chose, mais les filles qui ont choisi d’y aller doivent pouvoir faire partie d’Équipe Québec.
Isabelle Leclaire
De plus, Leclaire mentionne que le modèle « prep school » enlève du temps de développement par rapport à ce qu’offre le cheminement proposé actuellement qui passe par les cégeps. « Notre bassin de joueuses n’est pas très grand alors ces deux années de développement de plus nous permettent d’être compétitives au niveau universitaire. »
Daniel Continelli, entraîneur-chef des Patriotes du cégep St-Laurent aborde également le faible bassin de joueuses pour expliquer qu’il faut faire attention avant de dire oui au collège Bourget. « Est-ce qu’on a le luxe d’avoir plus de choix et de risquer de diluer la qualité de nos structures d’élite avec le nombre de joueuses qu’il y a au Québec? C’est très fragile le hockey féminin ici. Il faut réfléchir comme il faut à ce qu’on veut faire.»
Celui qui a repris le flambeau du programme collégial après que celui-ci ait passé à un cheveu de fermer ses portes en mai dernier en sait quelque chose. « Est-ce que ça aide nos structures actuelles si on fragilise les équipes au point de risquer d’en perdre au détriment d’un « prep school »? Les programme scolaires doivent aussi se questionner. »
C’est justement toute la structure de développement, son accessibilité et sa capacité à garder les joueuses au Québec qui posent problème pour plusieurs intervenants et décideurs.
Jocelyn Thibault, directeur général de Hockey Québec et Stéphane Auger, responsable du développement et des opérations Hockey au RSEQ ont tous deux la même approche. Selon eux, accepter le collège Bourget dans les cadres actuels sans se poser de questions, c’est faire fi du modèle de développement sur lequel on travaille pour l’élite du hockey féminin. Et ce modèle c’est la LHEQ, un circuit civil qui comprend huit équipes situées un peu partout dans la province et dont certaines équipes sont rattachées à un programme sport-études.

En entrevue, Jocelyn Thibault affirme avec vigueur son attachement au hockey féminin. Il y a travaillé et ses trois filles évoluent dans les circuits collégial et universitaire du Québec. Et il dit croire beaucoup au hockey scolaire. D’ailleurs, Stéphane Auger et lui sont en constante communication. Si Hockey Québec a pris la décision de refuser l’adhésion du programme de Bourget, c’est d’abord et avant tout parce que les choses sont faites trop rapidement selon lui. Il n’est pas contre le modèle des « prep schools », mais il faut d’abord réfléchir à la façon dont on veut les intégrer aux structures existantes.
Le hockey scolaire passe par le RSEQ. Stéphane Auger en est le responsable. « Les équipes des programmes « prep schools » peuvent jouer au sein du RSEQ, mais elles doivent accepter d’évoluer dans les mêmes cadres, avec les mêmes règles. C’est juste normal de vouloir ça. Et c’est primordial de prendre en considération que la sixième année du secondaire, ce n’est pas reconnu ici. »
Thibault se dit prêt à regarder les options pour les « prep schools ». « Je ne suis pas contre ce type de programme et on travaille avec Stanstead et Bourget. Mais il y a des procédures à suivre pour être fédéré. Il ne suffit pas de se monter une équipe et de dire qu’on veut jouer pour être sanctionné. Le Collège Bourget a sollicité des joueuses au printemps et a voulu être sanctionné. C’est plus compliqué que ça. »
Il ajoute aussi : « On n’empêche pas les jeunes de jouer. Si une ligue se crée à l’extérieur des cadres de Hockey Québec, c’est possible. Par contre, les équipes qui ne sont pas fédérées n’ont pas les assurances de Hockey Canada et les équipes fédérées qui jouent contre des équipes qui ne le sont pas ne sont pas couvertes par ces assurances. Il faut qu’elles le sachent. »
« On travaille fort pour structurer le développement du hockey. On ne peut pas simplement dire à tout le monde qui se forme une équipe que la fédération va les accréditer. Il faut que ces équipes et ces programmes acceptent les cadres établis. Ça ne veut pas dire qu’on ne peut pas améliorer les choses, mais il faut y réfléchir comme il faut. Dans 5-10 ans, on ne voudra pas se dire qu’on aurait dû mieux penser à notre affaire. »
C’est notre job à Hockey Québec de voir au développement d’une structure verticale. Je pense qu’on a le droit de penser qu’il est préférable de travailler avec le monde ici pour garder nos filles au Québec. Je crois à nos programmes et notre structure de développement doit mener vers ces programmes avant de diriger nos joueuses vers les États-Unis
Jocelyn Thibault, DG de Hockey Québec
Mélodie Daoust comprend que les choses ne se font pas en criant ciseau, mais elle est formelle sur une chose. Hockey Québec n’a pas été mis devant un fait accompli en avril dernier quand Bourget a fait l’annonce officielle de l’ouverture de son programme. « On a déposé un plan il y a 5 ans. Puis, on a relancé le tout en 2021. Hockey Québec peut bien dire que le dossier a été égaré au moment où les changements ont été effectués à la direction de la fédération. Mais peuvent-ils expliquer comment il se fait qu’ils n’ont pas oublié de renouveler la sanction de notre programme masculin qui était dans le même dossier déposé en 2021? Je pense que l’excuse du dossier perdu c’est n’importe quoi. »
Elle veut aussi bien faire comprendre aux gens que son objectif est de garder les Québécoises au Québec. Bien qu’elle veuille laisser choisir les filles, elle a à coeur le développement des joueuses d’ici au sein des cégeps et des universités d’ici. « J’ai fait tout mon cheminement ici. J’ai joué à Édouard-Montpetit et à McGill. Je crois au système d’ici et mon objectif est de le renforcer. C’est pour ça que je ne veux pas que notre équipe soit limitée en nombre de joueuses québécoises et que je veux leur offrir le maximum d’opportunités. »
Daoust tient aussi à apporter une nuance importante quand elle entend que Hockey Québec dit avoir travaillé avec son collège. « Oui, on a eu des discussions, mais il n’y a rien eu de formel ou de propositions écrites. Hockey Québec nous a mentionné au printemps dans une rencontre en Zoom que nous pourrions intégrer la LHEQ, mais en n’ayant droit d’utiliser que cinq joueuses du Québec. On leur a répondu sur le coup que ça ne correspondait pas au modèle que nous souhaitons développer et ça s’est arrêté là. Par la suite, on leur a demandé de nous envoyer une proposition écrite, ce qui n’a jamais été fait. Puis, en septembre, une fois que le temps avait passé et que notre équipe était montée, on nous a fait savoir que le C.A. de la LHEQ avait simplement refusé qu’on embarque. Je n’appelle pas ça des discussions. »
La joueuse par excellence du tournoi olympique de 2018 croit fermement que l’offre de services doit s’agrandir pour donner envie aux plus jeunes filles de commencer et de continuer à jouer au hockey. « Des programmes comme le nôtre permettent aux joueuses de s’entraîner la semaine tout en se concentrant sur l’école, qui est la priorité numéro un. On a un tournoi de quatre matchs par mois au lieu de jouer toutes les fins de semaine et certains soirs de semaine. C’est un modèle qui convient beaucoup mieux à certaines personnes. Et c’est en proposant des modèles différents que certaines filles qui abandonnent le hockey ou qui pratiquent d’autres sports vont peut-être décider de choisir le hockey. Le bassin de joueuses est petit, mais le modèle actuel ne le fait pas grandir. On pense que ce que nous proposons va y contribuer. »
Ariane Proulx, qui évoluait au sein de l’équipe des Patriotes du cégep de St-Laurent la saison dernière, fait partie du groupe d’entraîneures à Bourget. Elle revit donc la frustration de voir des programmes de hockey féminin subir des coups. « Je vois ça comme une superbe opportunité. Personnellement avoir eu 15 ans j’aurais sauté sur cette chance là. C’est un programme avec un encadrement incroyable (psychologue sportif/ nutritionniste, entraineures certifiées , préparateur physique, professeur investi dans la réussite des élèves). La combinaison école-sport est la meilleure chose pour des athlètes, tu peux avoir une vie sociale à l’extérieur de l’école et de ton sport car tu es chez toi à 19h au plus tard. Il y a le transport nécessaire, il y a le temps d’études nécessaire, le temps de pratique .Tout est là à la même place ce qui est très avantageux. Elles méritent de pouvoir vivre ce genre d’expérience , il va falloir que Hockey Québec réalise ce que nous sommes en train de créer à Bourget. Ce n’est pas avec notre programme qu’on nuit au développement du hockey féminin, c’est Hockey Québec qui est en train de nuire en empêchant 20 filles de jouer. »
« Encore une fois , en 2022 on empêche des filles de pouvoir jouer au hockey. Elles ont 15-16 ans, leur motivation d’être à l’école est de pouvoir jouer au hockey et présentement je ressens que c’est dur mentalement pour elles , ce n’est pas normal de faire vivre ce genre de situation à nos filles. Il est temps que les gens supportent le hockey féminin. Je trouve ça frustrant pour nos joueuses qui ont choisi de venir jouer pour le Collège Bourget », ajoute-t-elle.
Plusieurs questionnent un autre élément important du modèle des « prep schools ». Son coût. Il est loin d’être évident pour tout le monde de se payer des services parfois très onéreux. Les « prep schools » peuvent coûter dans les cinq chiffres. Bref, ce n’est pas donné. Et dans un contexte où l’accessibilité est un enjeu majeur soulevé dans le rapport du Comité présidé par Marc Denis, on peut comprendre les questionnements.
Ceci dit, les « prep schools » offrent de l’aide financière pour s’assurer que l’argent soit le moins possible un frein à l’admissibilité. On prend en compte les moyens des parents en fonction de leur salaire pour établir le montant qu’ils devront réellement débourser.
Enfin, Jocelyn Thibault me mentionne que cet hiver sera le moment pour la fédération de faire toute sa planification stratégique. Le cas du hockey féminin fera partie de cette planification. Pour organiser le tout, on fera appel à des experts indépendants afin que le processus soit optimal. Les discussions se feront à l’interne avec les employés de Hockey Québec, mais Thibault m’assure qu’on entendra des intervenants externes, bien qu’il reste à déterminer lesquels.
Alors est-ce que le modèle « prep school » représente une avenue viable pour le développement du hockey féminin au Québec? Est-ce qu’il offre une réelle valeur ajoutée à l’écosystème en place ou s’il ne risque que de défaire une structure actuellement trop fragile pour l’intégrer? La réflexion ne fait que s’amorcer, mais elle sera importante. Parce que quoi qu’on en dise, le hockey féminin au Québec a besoin d’être renforcé. Sa base est faible et les filles doivent y voir une possibilité de s’épanouir. C’est ce que proposent Hanna Bunton et Mélodie Daoust.
À la fin, si on veut voir davantage de Québécoises faire partie de l’équipe canadienne, il faudra avoir plus de filles qui y jouent et pour ça, il faudra offrir un maximum d’options à nos sportives, élites ou non.