Crédit photo : James Hajjar

La Force de Montréal, l’équipe professionnelle de hockey féminin dans la Premier Hockey Federation (PHF), a annoncé dans les derniers jours la signature de huit joueuses. L’une de ces embauches, celle d’Audrey-Anne Veillette, fait réagir dans les cercles du hockey féminin.

Deux des huit signatures annoncées sont des ajouts provenant du circuit universitaire québécois, Rosalie Bégin-Cyr des Stingers de Concordia et Audrey-Anne Veillette des Carabins de l’Université de Montréal. Dans le cas de Bégin-Cyr, elle vient de passer cinq ans à l’université. Il lui restait une année d’admissibilité en raison de la saison 20-21 annulée par la pandémie, mais elle a terminé ses études et son passage au niveau professionnel était une possibilité attendue. Dans le cas de Veillette, l’histoire est un peu différente.

C’est que l’attaquante prodige des Carabins n’a joué que deux saisons en bleu. 2020-2021 aurait été sa première saison. Elle a tout de même passé trois ans sur les bancs d’école et complété son baccalauréat en kynésiologie. Sa décision de signer une entente au niveau professionnel fait en sorte qu’elle met une croix sur les trois années d’admissibilité qui lui restait avec les Carabins.

L’idée de mettre un terme à son parcours universitaire pour passer à l’autre étape est arrivée à la fin de la présente saison pour celle qui a établi un record avec ses 26 buts en 22 matchs cette saison. « À mon arrivée avec les Carabins, il n’y avait pas d’équipe pro alors ce n’était pas un plan que j’avais depuis longtemps. Mais après le championnat canadien, j’ai commencé des démarches. L’intérêt était mutuel alors j’ai négocié mon contrat avec l’aide de mon père et je serai au camp de La Force au mois d’août avec l’intention de me tailler une place sur une des premières lignes. »

La hockeyeuse par excellence du réseau universitaire québécois, qui poursuivra des études de maîtrise à distance en science de l’activité physique, est bien sûr consciente que sa décision a déçu ses entraîneures. « Je sais qu’elles auraient voulu que je revienne et c’est certain que si je n’avais pas fini mon baccalauréat je serais restée. Mais mes coéquipières étaient contentes pour moi. Ce n’était pas une décision facile, par contre c’était la meilleure pour moi. J’imagine que je ne serai pas la dernière à quitter avant la fin de son admissibilité. »

Pour Isabelle Leclaire, le départ d’Audrey-Anne Veillette est bien sûr une mauvaise nouvelle. Elle ne s’attendait pas à voir sa joueuse vedette quitter aussi tôt dans son parcours. Surtout, elle souhaite que ce cas ne devienne pas une pratique courante.

Isabelle Leclaire / Crédit photo : James Hajjar

« Quand La Force est arrivée, c’était une bonne nouvelle pour l’éco-système du hockey féminin. On a besoin de ce palier-là. Mais ça nous a été présenté comme si on n’avait pas l’intention de venir sabrer dans les équipes universitaires. En fait, ce n’est à l’avantage de personne de voir les joueuses ne pas profiter de toutes leurs années d’admissibilité universitaires. Elles poursuivent leur développement alors les équipes professionnelles en profitent en misant sur des joueuses plus avancées et les équipes universitaires aussi parce qu’elles gardent une stabilité. »

Questionné à ce sujet, le président de La Force se veut rassurant : « Nous ne courons après aucune joueuse et surtout pas après les joueuses universitaires. Je suis le premier à encourager les joueuses qui nous contactent à compléter leur parcours à l’université. La marge est importante entre le niveau universitaire et le pro. Elle ne se développent pas autant en jouant peu dans le pro au lieu de dominer avec leur équipe universitaire. Je veux qu’elles finissent, mais à la fin c’est leur décision. Il ne faut pas voir le cas d’Audrey-Anne comme un précédent. Si elle a quitté, elle avait ses raisons. »

Kevin Raphaël, président de La Force

Et La Force a beau jeu. Selon Raphaël, le marché est tel que son travail à l’ouverture du marché des joueuses autonomes n’est pas de convaincre des femmes de venir à Montréal, mais de trier parmi les candidatures reçues. « Je n’appelle personne.»

Celui qui est très impliqué dans le rayonnement du sport féminin insiste : « Mon but premier au-delà du bien-être de mon équipe est de supporter le système. Ce n’est pas pour rien que j’organise la Classique KR qui permet à des joueuses d’ici de côtoyer des gars de la LNH. Aujourd’hui certaines filles s’entraînent avec eux régulièrement parce qu’elles se sont rencontrées dans cet événement. Et ce n’est pas pour rien que j’ai apporté mon soutien financier à Concordia. »

À la tête du programme des Carabins depuis 2008, Leclaire veut être certaine que les choses soient claires : « Je nous vois comme des club-écoles. Mais c’est nouveau et j’espère qu’une collaboration va s’établir. Il ne faudrait pas que les équipes prennent l’habitude de courtiser nos joueuses avant la fin de leur admissibilité. Notre bassin de joueuses élites en hockey féminin est encore fragile. À court terme ça peut être dommageable, mais à moyen terme, je pense que les choses vont se tasser. Tout le milieu doit travailler ensemble pour ne pas fragiliser le système.»

L’experte en hockey féminin du podcast Bulletinsportif et entraîneure adjointe avec les Blues de Dawson Léa McIntyre est ambivalente sur l’impact de la signature de Veillette avec La Force : « C’est une réalité qui va arriver de plus en plus selon moi. J’y ai beaucoup réfléchi et je pense que c’est bon pour le hockey féminin en général. On en parle et les gens vont être curieux de voir comment elle va se débrouiller avec les pros. Mais pour le niveau universitaire, ça va faire mal. Déjà qu’on va perdre deux équipes et maintenant on va perdre nos meilleures joueuses. »

Sur ce dernier point, Veillette trouve dommage le départ prochain des équipes d’Ottawa et de Carleton. Cependant elle y voit aussi une belle opportunité pour des universités comme Laval et l’UQTR d’ouvrir des programmes qui permettront de garder les joueuses ici. Selon elle, ces universités ne seraient peut-être pas prêtes à le faire si ces équipes étaient restées dans le RSEQ.

Une situation qu’il faudra certainement avoir à l’oeil dans les prochains mois.

Publicité