La fin d’une saison sonne l’heure des bilans. Bulletinsportif a profité de l’arrivée de la coupe Vanier pour interviewer cinq entraîneurs-chefs d’équipes québécoises. Des discussions très intéressantes où il a été question de pandémie, de recrutement, de parité, de leadership et de fierté.

À l’unanimité, les coachs ont tenu à souligner le bonheur pour tout le monde de revenir au jeu et l’exploit qu’a représenté la tenue d’une saison complète dans le contexte pandémique. Force est d’admettre que les organisations ont su faire oublier les mesures pour offrir un spectacle apprécié de tous les amateurs. Pour cela, je me joins à eux pour lever mon chapeau à tous ceux qui ont permis la présentation des matchs.

Brad Collinson des Stingers de Concordia a fait valoir à quel point tout était fragile : « Toutes les restrictions, tous les inconnus ont rendu notre travail beaucoup plus stressant, particulièrement en début de saison. Les joueurs ont dû faire beaucoup de sacrifices. Un seul cas pouvait tout faire arrêter. »

Brad Collinson, entraîneur-chef des Stingers de Concordia / Photo : Twitter

Chez le Vert & Or de Sherbrooke, la pression était également immense. On se rappellera du premier match de la saison qui était présenté sur leur terrain et qui a été retardé parce que des joueurs de l’université de Montréal avaient des symptômes. « On a fait preuve d’audace », mentionne avec fierté Mathieu Lecompte, l’entraîneur-chef du Vert & Or. « Ce matin-là, on a accepté de vivre le stress qui venait avec la tenue du match. Toutes les organisations sportives à travers le Canada nous regardaient. On a travaillé fort pour lancer le message qu’il fallait jouer malgré les difficultés que ça impliquait. Je suis vraiment heureux qu’on ait pu accueillir le premier match officiel au retour du football. »

Pour Marco Iadeluca des Carabins de l’université de Montréal, c’était plus qu’un retour sur les terrains. « Je suis super content qu’on ait pu retourner à la pratique du sport. C’était pour nos joueurs l’occasion de reprendre leur identité. La COVID a ajouté à notre tâche, mais les joueurs étaient prêts à tout pour jouer. »

Cependant, au-delà de la COVID et des mesures à prendre pour l’éviter, la saison aura été marquée par des exploits sur le terrain. Chaque équipe aura vécu ses moments à sa manière. Que les résultats aient été positifs ou moins. Évidemment, comme aucune équipe du Québec n’a participé à la finale de la coupe Vanier, aucun entraîneur n’a conclu que la saison était un succès sur toute la ligne. Mais tous ont du positif à retenir.

Ron Hilaire des Redbirds de McGill était déçu de la fiche des siens. Être écarté des éliminatoires est un résultat en-dessous des attentes pour lui, mais il veut se servir des leçons de la saison. « Des fois, il faut faire un pas en arrière pour en faire dix en avant. On va prendre le recul nécessaire pour analyser tout ça parce qu’on ne veut plus jamais terminer une saison 1-7. »

Ron Hilaire, entraîneur-chef des Redbirds de McGill / Crédit : Josh Blatt

Par contre, il voit d’un bon oeil le groupe qu’il a sous la main. « On a beaucoup de talent. On est bien nanti à la position de receveurs et de porteurs de ballon notamment. Et puis notre ligne offensive s’est grandement améliorée par rapport à 2019. Voir le jeune talent se greffer au noyau et la famille se bâtir, c’est bon signe pour l’avenir. »

Mathieu Lecompte, lui, était particulièrement fier de la progression de son Vert & Or. « Pour la première fois depuis mon arrivée, 100% des joueurs de l’équipe avaient été recrutés pendant que j’en étais l’entraîneur-chef. C’était notre culture, une équipe travaillante, persévérante et disciplinée. Nous avons été l’équipe la moins punie de la ligue cette saison. Ça fait un énorme changement. Et malgré la COVID, on n’a habillé que 66 joueurs différents pour toute la saison avec plus de 100 joueurs présents à chaque entraînement.

« Je lève mon chapeau aux gars qui ont acheté notre plan. Des gars comme Anthony Vandal que tout le monde voulait et qui est venu chez nous. Il a amorcé tous les matchs depuis son arrivée avec nous. On l’a développé. Il n’a jamais manqué un snap. Un bon étudiant qui entre chaque jour, fait ce qu’on lui demande depuis quatre ans et repart. Punch in, punch out. Et aujourd’hui, il a du film à montrer pour le niveau pro. Justin Amessan, Carl Marchessault, Thomas Bélanger sont tous des gars comme ça. »

Il ajoute : « C’est certain qu’on aurait aimé terminer avec une fiche positive. On n’était pas loin avec une défaite en prolongation contre Concordia et une autre par seulement trois points contre McGill. On a donné de la belle opposition à nos adversaires et par-dessus tout, après avoir passé 18 ans de ma vie à y travailler, on a finalement battu le Rouge et Or. »

Du côté de l’université de Montréal, Marco Iadeluca en était à sa première saison à la tête du programme des Carabins. Bien que les objectifs soient toujours très élevés chez les Bleus, la défaite en demi-finale nationale face aux Huskies de la Saskatchewan n’a pas que laissé du mauvais derrière elle. « On méritait un meilleur sort. Je pense qu’on a dominé la majeure partie du match. Mais les gars sortent de là encore plus affamés. Cette équipe était vraiment spéciale. La façon dont les vétérans ont travaillé pour souder l’équipe avec deux cohortes de recrues et créer l’esprit d’équipe a été impressionnante. Je dois leur lever mon chapeau. »

Marco Iadeluca, entraîneur-chef des Carabins de l’université de Montréal / Photo : James Hajjar

Un joueur en particulier a eu un impact majeur par son leadership. Le quart Dimitri Morand. Iadeluca ne tarit pas d’éloges à son endroit. « C’est un des plus gros leaders que j’ai vu dans ma carrière. Il n’a pas toujours eu la reconnaissance pour ce qu’il a fait sur le terrain durant sa carrière, mais il faut se souvenir qu’il était notre quart-arrière en finale de la coupe Vanier en 2019 et qu’il a mené notre équipe à la victoire à trois reprises cette saison. C’est un jeune homme très respecté à tous les niveaux de l’organisation.

Le moment marquant de la saison pour Iadeluca et les Bleus est survenu après la défaite face aux Stingers. « Ça aurait été facile de se pointer du doigt durant la semaine qui a suivi et de s’écrouler. Nous étions au pire moment de la saison au niveau des blessures. C’est bien beau la théorie du Next man up mais encore faut-il le faire. Notre équipe a vraiment démontré qu’elle pouvait se serrer les coudes et on est allé gagner contre Laval sur leur terrain. »

Dans le camp des Stingers de Concordia, Coach Collinson est heureux du développement de son programme. « On a pris un pas de plus dans la bonne direction. Je n’ai pas été surpris de nos résultats. On sait qu’on a du talent. Et battre Montréal nous a donné un boost. Sauf que c’est un processus. Il y a eu des moments plus difficiles en deuxième moitié. Ça a été le cas contre Laval et Montréal, puis à notre dernier match contre Sherbrooke, les gars gars n’étaient pas suffisamment concentrés, c’est une erreur de l’équipe d’entraîneurs. »

Collinson est cependant très fier des bons moments que la saison leur a fait vivre.  » La victoire contre Montréal, les remontées qu’on a réussies. Et voir que nos joueurs adoptent l’attitude qu’on leur inculque de ne jamais abandonner. C’est la plus grande différence entre la première année où je suis arrivé et maintenant. La vibe est bonne. » Et il n’hésite pas à parler des honneurs individuels reçus par ses joueurs. C’est toujours l’fun à voir quand nos joueurs obtiennent la reconnaissance pour leur travail. »

« Le leadership de plusieurs de nos joueurs a eu un impact important. Par exemple, Jacob Salvail est un gars qui fait tout bien, qui garde tout le monde dans la bonne direction. Khadeem Pierre, un finissant, Will Benoît, un col bleu travaillant et Zach Philion qui a pris un pas de plus cette saison. »

Puis, il y a Chérif Nicolas des Gaiters de Bishop’s. Une équipe qu’on oublie trop souvent parce qu’elle évolue dans la conférence atlantique. « On ne l’a pas eue facile cette saison, mais on a terminé à huit points d’une place dans le final four canadien en perdant 25-17 contre St.F-X au Loney Bowl. À nos deux premiers matchs, on a raté sept placements et on a perdu par trois points à chaque fois. Notre fiche n’a pas été celle qu’on voulait, mais à la fin, on a montré qu’avec une équipe très jeune on était une des forces de la conférence. L’an prochain presque tous les partants seront de retour. »

Chérif Nicolas, entraîneur-chef des Gaiters de Bishop’s / Photo Courtoisie

Alors justement que faut-il améliorer pour passer au prochain niveau? Chaque équipe a ses enjeux propres, mais comme pour tous les sports universitaires, les solutions passent entre autre par le recrutement. Un exercice qu’il faut refaire chaque année avec rigueur et énergie. Chacun a ses arguments pour attirer la crème.

Pour Marco Iadeluca, malgré les résultats et les objectifs élevés, tout est à recommencer chaque année. « Depuis plusieurs années, les programmes font tout un travail. La compétition est de plus en plus forte. On doit donc se concentrer sur nous et faire tous les efforts pour attirer les meilleurs. Il faut remplacer les vétérans qui quittent. »

À McGill, Coach Hilaire n’a aucun complexe d’infériorité face aux autres programmes. « Je suis très fier de notre recrutement de 2020. Les jeunes joueurs collégiaux commencent à réaliser qu’on peut exceller partout. On va travailler fort pour s’améliorer à toutes les positions. Pas seulement au poste de quart-arrière, même si on perd Dimitrios Sinodinos qui vient de terminer sa maîtrise. Je ne pense pas qu’il revienne même s’il pourrait jouer une autre année.

Ron Hilaire a aussi hâte d’avoir une saison morte « normale » avec les recrues. « On veut travailler sur la force mentale de nos joueurs », ajoute-t-il. « La défaite contre Concordia alors qu’on menait par 22 points a laissé des traces. On ne s’en est pas remis. Mais avec des jeunes joueurs qui prennent du galon sur et en-dehors du terrain, on va y arriver » Il cite notamment Zachary Magnan, un étudiant modèle, Elijah Williams qui amène un « dog mentality », Dom Piazza qui a élevé son jeu d’un cran et Ryan McNally qui avait de grands souliers à chausser et qui excelle également sur les bancs d’école.

Brad Collinson parle quant à lui du processus. « On vient de terminer l’année 3 de notre plan. L’an prochain, c’est la quatrième. Les joueurs ont touché à la victoire et ils en veulent plus. Mais on ne doit pas sauter d’étapes. Notre équipe est jeune, on ne perd que 3-4 joueurs partants en attaque et 3-4 autres en défense. Et puis, tout notre groupe d’entraîneurs sera de retour. »

Pour le recrutement, Collinson est bien conscient que les belles victoires vont aider à intéresser des joueurs à se joindre à eux. « On ne connaît pas les chartes de positions des autres équipes. On s’occupe de nos affaires et de nos besoins. À la fin, c’est le choix des joueurs de venir ici ou d’aller ailleurs. Nous, on cherche les meilleurs à toutes les positions. On veut des bonnes personnes avec des bonnes valeurs. »

À Sherbrooke, comme ailleurs, le recrutement est la principale clé pour améliorer l’équipe. Mathieu Lecompte est passionné quand il en parle. On souhaite améliorer notre profondeur sur la ligne offensive et pour notre groupe de receveurs. La ligne à l’attaque est un enjeu important. On veut être meilleurs pour protéger notre quart et être capables de courir contre toutes les équipes. Pour attirer les meilleurs, on veut faire comprendre aux jeunes que ce sont eux qui vont faire les championnats et non l’uniforme qu’ils portent. Ils peuvent jouer et gagner des championnats à Sherbrooke s’ils choisissent de venir chez nous. Mais la perspective que c’est le gros programme qui fait ta gloire est bien ancrée dans la tête de plusieurs jeunes. On a un défi d’aller chercher les joueurs qui sont dans les grands centres urbains. On souhaite leur faire voir qu’on est à seulement quelques joueurs près de battre les grosses équipes régulièrement. Les gens doivent avoir l’audace de connaître le Vert & Or »

Mathieu Lecompte, entraîneur-chef du Vert & Or de Sherbrooke / Photo : Yves Longpré

Lecompte ajoute : « On fait attention à nos joueurs, on les prépare de manière à ce qu’ils soient disponibles et dans le meilleur état pour affronter les meilleurs au Canada. Et on fait ça en leur donnant un encadrement académique de première classe. 100% de nos jeunes sont diplômés d’un baccalauréat ou d’une maîtrise après leur carrière à Sherbrooke. Et je peux garantir que ce sera le cas encore l’an prochain. »

Les mots de Coach Lecompte sont en partie repris par Chérif Nicolas des Gaiters. « Les joueurs, par leur décision, peuvent créer la parité. » L’ancien des Spartiates du Vieux-Montréal a joute : « Si des joueurs du top 50 venaient à Bishop’s, la parité se ferait. C’est normal qu’un jeune qui a été partant toute sa vie se dise qu’il va réussir à se tailler une place avec les meilleures équipes. Mais c’est tough pour ceux qui n’y arrivent pas. Alors on leur dit que s’ils veulent gagner, à Bishop’s ils ont plus de chance d’aller en demi-finale canadienne. »

« Bishop’s offre une opportunité aux joueurs qui se joignent à nous de se battre pour une place en demi-finale canadienne chaque année. Au cours des deux dernières saisons, il y a cinq équipes au Canada qui ont participé à la finale de leur association deux fois et nous sommes une de ces équipes-là. »

En ce qui concerne la faiblesse de la conférence atlantique, Chérif Nicolas n’en démord pas. « Aucun programme n’a voté en faveur de modifier le modèle des éliminatoires. Ça ne changera pas et c’est parfait d’assurer une représentation régionale au plus haut niveau. Ceux qui veulent qu’on copie le modèle américain avec un comité vont voir que ce n’est pas mieux. À une époque, St.Mary’s était le meilleur programme au Canada. À la fin, les jeunes ont le gros bout du bâton et c’est à eux de choisir. Je leur dis : viens nous aider à gagner et à faire notre place au niveau national. Et puis, les joueurs qui continuent chez les pros viennent de partout. L’an dernier, les premiers receveurs sélectionnés au repêchage de la LCF venaient des Maritimes. D’ailleurs si tu veux te rendre au prochain niveau, ça prend du film. Et pour ça, il faut jouer. »

La saison du recrutement est justement bien en branle et il est toujours intéressant de voir où iront les joueurs les plus en vue. Mais il ne faut pas oublier qu’à cet âge, les joueurs continuent de se développer et que des joueurs qui ont moins souvent les réflecteurs braqués sur eux sortiront assurément de l’ombre pour aider leurs équipes respectives. Et tout ça en gardant en tête qu’ils sont d’abord et avant tout des étudiants.

Une saison spéciale, donc. Disputée dans un environnement particulier. On ne peut que féliciter tous ces joueurs et entraîneurs pour les efforts et les sacrifices qui ont été faits. On a eu droit à une superbe saison.

La 56e coupe Vanier disputée au stade Telus de l’Université Laval a couronné les Mustangs de Western, un champion venant de l’extérieur du Québec, pour la deuxième fois consécutive. Une première depuis les saisons 2000 à 2002 alors qu’Ottawa et St.Mary’s (2 fois) avaient mis la main sur le titre entre deux championnats du Rouge et Or. Les équipes du Québec voudront certainement y remédier pour l’an prochain. Ils y travaillent déjà.

*À ceux qui se demanderont pourquoi Glen Constantin n’a pas été interviewé pour ce bilan, sachez que j’en ai fait la demande à l’organisation du Rouge et Or. On m’a répondu que Coach Constantin était très occupé avec le recrutement et qu’il préférait tourner la page sur la dernière saison. J’avoue que j’aurais bien aimé discuter avec lui, mais ce n’est que partie remise.

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