Crédit photo : James Hajjar

À l’automne 2025, Jonathan Sénécal ne sera plus quart-arrière, il sera analyste financier. Il troquera ses épaulettes pour une chemise. Les plans de match pour les plans de d’investissement. Les fesses suintantes de son joueur de centre pour les poignées de main propres de ses clients. Mais sa passion pour ses Carabins demeurera.

Pour les amateurs de statistiques, Jonathan Sénécal avec les Carabins, c’est 608 passes complétées sur 908 tentées pour 8 252 verges et 47 passes de touché en 30 matchs réguliers. C’est aussi 235 passes complétées sur 361 pour 2995 verges et 13 passes de touché en 11 matchs éliminatoires. Deux titres de la coupe Dunsmore et une coupe Vanier. Ce sont à peu près tous des records de concession et des chiffres qui le placent dans le top 10 de l’histoire des quart-arrières universitaires du RSEQ.

Sauf que Jonathan Sénécal, c’est bien plus que ça pour le football et le sport universitaire québécois. Il en a été la figure de proue post-pandémique. Nommé athlète de l’année U Sports toutes disciplines confondues en 2024, le #12 des Bleus a été tout au long de sa carrière le joueur le plus scruté. Celui sur qui les attentes ont été les plus élevées. Celui que les fans espéraient voir devenir LE quart-arrière qui allait prouver que c’était possible de jouer chez les pros. Mais ça n’arrivera pas.

« J’aurais aimé avoir une vraie chance au camp des Alouettes. Je suis très content d’avoir été repêché, mais je ne sens pas que j’ai pu réellement prouver ce que je valais avec aussi peu de répétitions dans les pratiques et dans les matchs », confie Sénécal en entrevue téléphonique.

Crédit photo : Pascal Ratthé / Alouettes de Montréal

Le 62e choix au total lors du dernier encan de la Ligue canadienne de football continue de s’entraîner pour maintenir la forme, mais il n’a aucune attente. Aucune opportunité d’aller jouer au sein d’une autre formation de la LCF ne s’est présentée. Et il le dit clairement : « Je ne retournerai pas l’an prochain. À un certain point, c’est venu le temps de passer à autre chose. »

Quelques jours après avoir été retranché, Sénécal a eu une conversation avec le DG Danny Maciocia au cours de laquelle ce dernier lui aurait mentionné qu’en cas de blessure, il pourrait être recontacté. Il ne se berce toutefois d’aucune illusion. En ce sens, est-ce qu’il pense que sa sélection était un simple coup de marketing? « Je ne sais vraiment pas », avoue-t-il d’un ton franc.

Malgré cela, Jonathan Sénécal semble serein. Pour le moment, il ne pense pas vraiment au football. Il regarde bien quelques matchs de la LCF, mais il a surtout hâte au début de la saison des Carabins. « Je vais peut-être sentir la nostalgie en les revoyant sur le terrain, mais c’est certain que je vais aller les voir et que je vais les suivre. J’ai vraiment aimé me retrouver sur le terrain avec les gars et le « grind » qu’on mettait pour s’améliorer chaque année. »

D’ailleurs, en faisant le bilan de sa carrière, ce sont les trois années qui ont mené à la coupe Vanier qui lui resteront en mémoire. « Tout ce processus qui nous a fait évoluer ensemble. Perdre au tout dernier moment en demi-finale canadienne contre Saskatchewan en 2021, puis échapper la coupe Dunsmore par un point contre Laval en 2022 avant d’aller gagner en 2023. Ces trois saisons vont rester gravées. »

Conscient de l’attention médiatique qu’il a attirée au fil des ans, Sénécal n’a jamais été celui qui recherchait les projecteurs. Tout comme il ne sentait pas de pression supplémentaire à cause de cela. « Je ne lisais jamais les articles qui s’écrivaient à mon sujet. Je m’en foutais de ce que les médias pouvaient dire. C’est certain qu’on sait ce qui se dit et bien sûr quand ça parle en mal, ça fait chier. Mais ça n’a jamais pris une grande place pour moi. »

Crédit photo : Joël Petit

Néanmoins, il apprécie la vitrine que les médias apportent sur le sport universitaire. « C’est cool que la télévision montre nos matchs et la visibilité que ça donne. Ce n’est pas aussi fort dans les autres provinces et il faut l’apprécier. Ça ne me tentait pas toujours de répondre aux questions, mais je l’ai toujours fait. »

L’aura de Sénécal dans le monde du football québécois rayonne depuis longtemps. Avant son stage universitaire, il est passé par les Maraudeurs du Collège Laval où en deux saisons (16 matchs), il a décoché 55 passes de touché et récolté plus de 4700 verges par la passe. « C’est là-bas que je me suis fait mon cercle d’amis avec qui je me tiens encore aujourd’hui », raconte-t-il quand je lui demande qui sont les gars avec qui il a tissé les liens les plus forts au fil du temps. « On rencontre tellement de gens en jouant au football et je ne pourrais pas me contenter de n’en nommer que quelques-uns. Sauf que mes meilleurs amis sont ceux du secondaire. »

Crédit photo : Maraudeurs du Collège Laval

Puis, il y a eu les Phénix d’André-Grasset avec qui il a fait la pluie et le beau temps en compagnie du receveur Kevin Mital. Il y a réalisé deux des trois saisons les plus productives de l’histoire du circuit collégial D1, dont une de 3116 verges en 2017, la seule au-delà des 3000 jamais réalisée à ce niveau. En plus de mener Grasset à son seul Bol d’Or D1 en 2018.

Au printemps 2019, celui que les universités partout au Canada cherchaient à recruter a pris la décision de s’expatrier au sud de la frontière. L’Université du Connecticut allait être l’élue. Une décision prise rapidement quelques mois avant sa dernière saison collégiale afin d’éviter toutes les distractions. Bien que celles-ci n’auraient peut-être rien changé étant donné qu’il a subi une blessure qui a mis un terme à sa saison dès le tout premier match à Limoilou.

Sauf qu’en mars 2020, la pandémie de COVID-19 a frappé et changé bien des choses. Non seulement, les Huskies n’allaient pas disputer de match, mais Jonathan a pris la décision de revenir à la maison. « Je n’ai aucun regret d’avoir quitté la NCAA. Je ne me sentais pas proche des gars. Je ne me sentais pas à ma place. »

C’était pour lui tout naturel alors de revenir porter les couleurs des Carabins. Tout comme il l’avait fait au moment de choisir son cégep, il souhaitait demeurer près de sa famille. Il n’avait pas visité beaucoup de cégeps à l’époque. Ça se décidait entre Lionel-Groulx, Montmorency et André-Grasset, trois institutions près de la maison. Le processus a été semblable quand est venu le temps de revenir au Québec et choisir son université.

Il avait alors expliqué sa décision ainsi : « La pandémie et l’annulation de la saison par l’équipe des Huskies m’ont fait réfléchir […] je sentais que c’était préférable de revenir près de ma famille. J’ai une excellente relation avec Marco depuis plusieurs années. Une fois de retour au Québec, je l’ai contacté et il m’a proposé un plan qui cadre parfaitement avec mon cheminement sportif, académique et personnel. Je voulais prendre une décision rapide et m’investir à 100% dans ce projet dès que possible. »

Ainsi s’est amorcée l’ère Jo Sénécal au CEPSUM. Quatre saisons qui auront fait vivre de grandes émotions aux partisans des Bleus. Qui auront aussi permis d’assister à de grands matchs de football face aux éternels rivaux du Rouge et Or.

En discutant avec Sénécal, je ne pouvais m’empêcher de revenir sur une chose qu’il m’a dite en parlant de son bref passage aux États-Unis. En m’expliquant que ça ne se passait pas comme il le souhaitait, il m’a glissé : « C’est sûr que ça aurait aidé mon parcours vers la LCF. » Ah oui? Comment?

« Au Québec, on est très bien capable d’amener des joueurs à un autre niveau. Pour des joueurs de ligne par exemple, on voit très bien qu’il y en a plusieurs qui n’ont aucun problème à se faire une place dans la LCF. Mais pour les « skills players », les quart-arrières entre autre, c’est peut-être mieux de passer par la NCAA. Les installations sont juste incroyables, mais surtout le fait de pouvoir te concentrer uniquement sur le foot parce qu’on a rien à payer, ça fait toute la différence. Si on avait un environnement comme celui-là dans nos universités avec une sorte de NIL, on pourrait se développer encore plus. De mon expérience, ça ne change rien dans le développement pour ceux qui choisissent les Prep schools au lieu des cégeps, mais pour l’université, c’est différent. »

Alors, on s’attend à voir Sénécal rebondir où prochainement? Le coaching? Ne misez pas là-dessus, ça ne l’intéresse pas. Le flag-football? Peut-être…

Il avoue s’être bien amusé lors du championnat canadien senior cet été. Et les représentants de Football Canada n’ont pas manqué de lui adresser quelques mots à ce moment-là. « J’ai bien aimé l’expérience et pour le moment, je fais ça pour le fun. L’équipe canadienne s’en va au Panama en septembre, mais je n’irai pas. Après? On verra… »

Crédit photo : JC Prod

D’ici là, ses fans pourront certainement le saluer lorsqu’il se présentera au CEPSUM pour un match des Carabins. Et bien qu’il ne soit pas en mesure de se prononcer sur l’identité de son successeur, il a tout de même pris le temps de terminer sur une prédiction. « Le Rouge et Or sera encore très bon, mais les Carabins vont gagner cette année. » Et c’est probablement la phrase où j’ai senti le plus de passion durant toute l’entrevue. Jonathan Sénécal n’a pas été que de passage avec les Carabins, il EST un Carabin.

Je conclus avec ces mots bien personnels. Jonathan Sénécal a été l’objet du premier article de l’histoire de Bulletinsportif. Il sera donc toujours une partie intégrante de ce qu’est ce blogue. Bien entendu, il y a eu de nombreux autres étudiants-athlètes, entraîneurs et autres qui m’ont marqué depuis maintenant 6 ans. Sauf que j’aurai toujours ce lien d’attachement avec ce nom. Pour ça, pour tout l’encre et la salive qu’on lui a consacré, pour tous les exploits, toute la lumière qu’il a su mettre sur le sport universitaire. Merci Jo!