Photo prise sur le site Web de Pointage Pro
On a appris en début de semaine, d’abord via une intervention à la radio de l’animateur Jérôme Landry, que le RSEQ – Québec Chaudière Appalaches a pris la décision de ne plus afficher les pointages lors des matchs de football dans les catégories atome/benjamin. Les réactions dans les médias ont été fortes pour la dénoncer. Avant de déchirer sa chemise, prenons le temps d’exposer la situation.
D’abord, mettons une chose au clair, ce ne sont pas les gens dans les bureaux du RSEQ qui ont pris cette décision. Ce n’est pas non plus la direction de la branche régionale Québec / Chaudière-Appalaches (Q/CA), qui agit en toute indépendance du RSEQ dit provincial. Ce sont les membres du comité technique de football regroupant des responsables des sports et des entraîneurs de football des écoles impliquées dans les ligues scolaires de football. Bref, ce sont ceux qui vivent directement avec ces décisions.
Parmi les écoles dont on parle, il y a les gros programmes du Séminaire St-François, de St-Jean-Eudes, de l’Académie St-Louis et du Collège de Lévis notamment. Bref, on ne parle pas de gens qui sont reconnus pour niveler par le bas.
Comme me l’a expliqué le directeur général du RSEQ Q/CA, Mathieu Rousseau, la décision de ne plus avoir de pointage officiel, de classement et d’éliminatoires aux niveaux atome et benjamin s’est prise en 2018-2019. Donc, depuis cinq ans, la compétition se limite à ce qui se passe durant le match, mais sans conséquence subséquente.
Au niveau atome, les rencontres se font sous forme de jamboree alors que chez les benjamins, on joue des matchs normaux, mais dont les pointages ne sont pas comptabilisés pour en faire un classement.
Mais pourquoi agir ainsi? Pour comprendre les raisons de cette décision, il faut changer les perspectives. Oui, la compétition et les matchs sont là pour déterminer un vainqueur. Mais que vaut la victoire ou la défaite si les joueurs qui participent ne sont pas suffisamment prêts pour tirer profit de l’expérience qu’ils viennent de vivre?
Selon M. Rousseau, le souci premier était la sécurité des joueurs. « Il fallait d’abord trouver une solution au fait que le développement physique des jeunes à cet âge est très différent d’une personne à l’autre. Puis, de cette réflexion en ont découlé d’autres qui ont mené à des décisions en rapport avec le développement des athlètes. »
Des propos repris par le responsable des sports au Séminaire St-François, Antoine Gendron. « La genèse de cette décision ne part pas d’un seul élément. Le football est un sport où on commence plus tard. Il y a tellement de choses à apprendre pour le maîtriser que dans les premières années, les résultats des matchs ont peu d’importance. Il fallait trouver une façon de faire en sorte que l’équipe qui comptait sur un gros joueur plus développé que tout le monde et à la limite du poids maximum se retrouve avec le ballon sur chaque jeu dans le but unique de faire gagner son équipe. Ça n’aide personne et ça en décourageait plusieurs qui ne s’imaginaient pas pouvoir un jour compétitionner dans ce sport. »
Il ajoute aussi l’aspect d’organisation. « On avait beaucoup de misère à former des ligues de football à 12. D’abord parce qu’il n’y a pas tout le monde qui a le bassin de joueurs, mais aussi parce que certaines écoles plus petites ne voulaient tout simplement pas commencer à affrontant des programmes comme nous ou St-Jean-Eudes alors elles allaient former d’autres ligues. On se retrouvait avec des ligues à 2 ou 3 équipes. »
M. Rousseau mentionne aussi de son côté que la disparité entre les équipes au niveau atome était souvent tellement grande que le risque était bien réel de perdre des joueurs « Il fallait assurer une capacité de rétention pour les plus petits programmes. »
Je vais me permettre d’ajouter mon grain de sel dans l’argumentaire. Il existe depuis 2005 au Canada un guide conçu par des scientifiques intitulé Développement à long terme de l’athlète. Un document qui devrait être la bible de toute organisation qui encadre du sport. Celui-ci est régulièrement mis à jour. Sa dernière mouture a été publiée en 2021 et porte désormais le nom de Développement à long terme par le sport et l’activité physique. Je vous invite à le consulter en cliquant sur le lien.
Je n’entrerai pas dans tous les détails, mais il est primordial de savoir que la recherche démontre des stades importants dans le développement des athlètes qui correspondent en partie à leur âge.
À l’étape de la fin de l’enfance au début de l’adolescence, soit le stade Apprendre à s’entraîner, on introduit la compétition formelle, mais elle doit être axée sur l’esprit sportif et fournir la chance d’expérimenter différentes épreuves et positions.
Puis, le stade suivant, celui de l’adolescence qu’on appelle S’entraîner à s’entraîner, est celui de la participation à des compétitions formelles avec rangs et classements.
Vous me direz avec raison que les jeunes de secondaire 1 et 2 sont à l’adolescence et devraient donc évoluer dans des compétitions formelles. Cependant, il faut garder en tête que la très, très vaste majorité des étudiants qui intègrent un programme de football en secondaire 1 n’ont jamais joué au football de leur vie. Il est donc nécessaire d’inculquer les notions de base et de permettre le développement des habiletés physiques à un maximum de participants avant de leur demander de s’évaluer au moyen de compétitions officielles.
À cela il faut ajouter qu’à moins d’être hautement dans la lune, à peu près tout le monde est très conscient du pointage dans un match. Qu’il soit affiché ou non. Qu’il y ait un classement ou non. Donc, l’aspect compétitif du sport demeure tout à fait présent chez les joueurs. Croyez-moi, j’ai déjà entraîné des jeunes de 11-12 ans au soccer alors qu’il n’y avait pas de classement. Tout le monde sait qui a marqué et qui a gagné à la fin. D’ailleurs, cet exemple démontre que le comité football du RSEQ Q/CA n’a rien inventé avec cette mesure. L’exemple dont je vous parle, ça fait plus que cinq ans. Et c’est dans une toute autre région. Et c’était du sport civil.
Mais alors, si les jeunes connaissent le pointage, pourquoi ne pas l’afficher? Bonne question. Disons que c’est surtout pour gérer les adultes. « Quand on avait pris la décision au départ, il nous semblait clair que le pointage ne serait pas affiché sur les tableaux », m’a confié Mathieu Rousseau. « La décision prise cette année est simplement venue officialiser ça en l’écrivant dans le règlement. On n’aime pas voir sur les réseaux sociaux des photos de parents ou des écoles avec un tableau indicateur qui affiche 52-0. Ça n’apporte rien. »
Antoine Gendron n’est pas nécessairement d’accord avec l’idée de ne pas afficher les pointages durant un match. Cependant, il n’y voit pas de problème non plus. « Les jeunes savent très bien où ils en sont durant le match. Par contre, à cet âge les résultats ont peu d’importance. Il faut d’abord apprendre le sport. Il faut l’aimer. On s’est bien rendu compte que certains entraîneurs, pour différentes raisons, n’utilisaient que leurs meilleurs joueurs parce que la victoire était la priorité. En donnant une chance à tout le monde de jouer à ses débuts, on garde plus de jeunes motivés. »
Et que dire à ceux qui y voient un nivellement par le bas? « Niveler par le bas, ce serait de limiter ce que les joueurs peuvent faire sur le terrain. Notamment en les empêchant de marquer plus de points ou de faire des jeux spécifiques. On a toujours refuser d’aller dans cette direction. En ne se préoccupant pas du pointage, tout le monde sur le terrain peut faire tout ce qu’il veut. Donc, en fait, on fait exactement le contraire », nous explique le directeur Rousseau.
Et puisque ça ne fait pas deux semaines, mais bien cinq ans que la politique est en vigueur, on devrait avoir une idée de son impact sur l’intérêt et le développement du football dans cette région du Québec. Et en effet, aucun effet négatif n’est à souligner.
« Au SSF, on a une cohorte de 70 joueurs en cadet. Et pour la première fois en 15 ans, il est possible qu’on soit dans l’obligation de procéder à des coupures au niveau juvénile. Il n’y a vraiment pas de désintérêt de la part de nos jeunes joueurs parce qu’il n’y a pas de classement », nous raconte Antoine Gendron.
Et les chiffres de participation enregistrés pour le football dans la région de Québec / Chaudière-Appalaches sont en augmentation nous confirme Mathieu Rousseau.
Dois-je également mentionner que le Séminaire St-François a gagné le Bol d’Or en juvénile D1 la saison dernière? J’imagine que leur développement trop « soft » au goût de certains n’a pas été si dommageable au final.
Alors je me permettrai ceci au déchireurs de chemise et aux adeptes du « On est en train d’élever une génération de moumounes », informez-vous avant de capoter. Il y a rarement une solution unique pour gérer une situation. Par défaut aucune n’est parfaite. Mais avant de dire n’importe quoi sur la place publique. Avant de jouer aux vierges offensées. Faites votre job, animateurs de radio, et informez votre auditoire au lieu d’émettre des opinions sans fondement. C’est un minimum.
https://fdm.usafootball.com/how-it-works
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