Les programmes Sport-études pullulent au Québec. Il y en partout dans la province qui permettent à des enfants et des adolescents de développer leurs habiletés sportives à l’intérieur des cadres scolaires. Mais si on peut penser que cette association avec les écoles est une bonne chose, tout n’est pas si évident. En fait, que sait-on du fonctionnement ou de la gestion de ces programmes? Quelles sont leurs obligations? Qui approuve leurs façons de faire? À qui rendent-ils des comptes?

Il faut d’abord savoir que les programmes Sports-études sont différents des concentrations en sport. Les Sports-études doivent être reconnus par le ministère de l’Éducation. Les élèves inscrits dans ces programmes ont des horaires de cours raccourcis pour pouvoir pratiquer leur sport durant les heures d’école. Alors que les concentrations sont grosso modo des options offertes par les écoles qui ne réduisent pas les heures en classe. Il y a des nuances à faire, mais pour les besoins de la cause, ne nous emberlificotons pas trop. Ce n’est pas le sujet de cette publication.

Les programmes Sport-études sont reconnus comme tel par le ministère de l’Éducation et les fédérations sportives. L’organisation qui en assure la gestion est désigné comme un mandataire.

Si le mandataire est l’école elle-même, il est facile de concevoir qu’il doit rendre des comptes au conseil d’établissement et au centre de services scolaires. Toutefois, dans la plupart des cas, l’école n’a pas les compétences nécessaires pour administrer et opérer une organisation sportive. Elle fait donc appel à des mandataires externes. Ceux-ci assurent ainsi une structure de bon calibre pour offrir l’encadrement sportif pendant que l’école veille au volet académique.

Jusqu’à il y a quelques années, ces mandataires pouvaient être des entreprises privées, mais le gouvernement a fait changer les choses. Désormais il faut être constitué comme un organisme à but non lucratif (OBNL) pour être un mandataire reconnu. L’objectif étant d’éviter qu’on puisse augmenter aléatoirement les frais chargés aux parents. Car oui, c’est le mandataire qui perçoit les sommes pour l’inscription au Sport-études et non l’établissement scolaire.

Sauf que le titre d’OBNL ne garantit absolument aucune probité et n’oblige pas davantage à rendre de comptes. Du moins, la reddition de comptes se fait à échelle variable et selon les termes des organisations elles-mêmes. Et les écoles, déjà débordées avec des tas d’autres problèmes, ne sont pas toujours très exigeantes avec ceux qui acceptent de gérer un service dont elles ne connaissent pas grand chose, mais qui les fait bien paraître dans la communauté.

Temps d’arrêt ici. Ce ne sont pas toutes les écoles qui agissent ainsi. Plusieurs sont assurément très au fait de ce que les mandataires font et du bien-être des élèves qui passent entre leurs mains. De nombreuses écoles travaillent effectivement en partenariat étroit avec leurs mandataires pour s’aider mutuellement. Car oui, les mandataires ont aussi besoin du support des écoles, ce qui n’est pas toujours évident selon ceux à qui on parle.

Néanmoins, plusieurs écoles sont heureuses de dire qu’elles offrent un programme particulier tout en se dégageant de toute responsabilité, donc elles ne vont certainement pas très loin quand vient le temps de demander des comptes. En fait mieux (ou pire) que ça, l’organisation dans bien des cas, n’est même pas obligée de montrer patte blanche à l’école avec qui elle travaille.

Alors comment fait-on pour voir à ce que l’OBNL qui gère le programme Sport-études soit apte? C’est la fédération sportive qui s’en assure notamment en validant que les entraîneurs sont convenablement formés. La fédération doit aussi évaluer la qualité de l’encadrement offert et les mesures de sécurité mises en place. Cependant, l’OBNL n’a même pas l’obligation de déposer une copie de son rapport annuel à la fédération ou au Ministère.

Les personnes qui peuvent vraiment demander des comptes à l’OBNL sont ses membres. Mais qui sont les membres? Ah là, ça dépend. Ce sont les règlements généraux de l’OBNL lui-même qui le déterminent. Et dans bien des cas, les membres, c’est le conseil d’administration. Et qui compose le conseil d’administration? Ceux qu’on veut bien nommer là au moment de la création de l’organisme. Et on fait quoi quand ce sont des amis, de la famille et des partenaires d’affaires des dirigeants? Bien, on ne s’en fait pas trop avec les fleurs sur le tapis ou les plaintes des clients…

Mais pourquoi vous parler de tout ça? Parce que des situations particulières m’ont amené à me pencher sur la façon dont ça se passe quand tout n’est pas au beau fixe. Comme par exemple quand le directeur des opérations d’un OBNL mandataire est sévèrement blâmé pour sa gestion d’un cas extrêmement grave de racisme. Ou qu’un dirigeant d’un OBNL dont le C.A est composé de membres de sa famille est aussi un dirigeant d’une fédération sportive.

Vous avez possiblement entendu parler ou lu sur les cas de racisme au sein du programme de hockey de l’Intrépide de Gatineau. Si ce n’est pas le cas, voici des textes qui résument globalement l’affaire. Le troisième, d’Alexandre Pratt, souligne notamment la piètre prise en charge du dossier par l’organisation mandataire.

https://www.ledroit.com/2022/04/08/racisme-lintrepide-suspend-six-joueurs-dff3ebfbb39aba7f598807cd2a4c4726/

https://www.lapresse.ca/sports/hockey/2023-10-27/i-can-t-breathe/la-scene-reproduite-dans-un-vestiaire-de-hockey-pour-humilier-un-joueur-noir.php

https://www.lapresse.ca/sports/chroniques/2023-10-27/quand-le-racisme-gangrene-une-equipe-de-hockey.php

Le sort des victimes m’interpelle beaucoup et le message lancé aux autres joueurs noirs aussi. Tout comme à n’importe quelle autre personne qui subirait un préjudice grave. Le peu d’actions entreprises par les partenaires de l’OBNL L’Intrépide de Gatineau me laisse aussi songeur. Nulle part il n’est mentionné que M. Alain Sanscartier, vice-président et directeur des opérations du mandataire, allait devoir s’expliquer auprès des partenaires que sont l’école Nicolas-Gatineau et la fédération Hockey Québec. Pas plus que l’entraîneur Stéphane Bertrand qui continue d’entraîner au niveau MU18 en tant qu’employé de l’Intrépide.

Alain Sanscartier, pour ceux qui ne le connaissent pas, est reconnu comme le gars qui « run le show » au hockey en Outaouais depuis longtemps. Il en mène large étant, en plus de son rôle au sein de l’Intrépide de Gatineau et Midget AAA Gatineau inc., président de Vision Multisports Outaouais, l’entreprise qui gère le Centre Slush Puppie et le Complexe Branchaud Brière, là où évolue l’Intrépide.

Son influence est importante, c’est un euphémisme de le dire. La preuve en est que plusieurs ont refusé de répondre à mes questions en invoquant la crainte de représailles. Une personne bien positionnée m’a même partagé qu’elle en aurait très long à dire, mais qu’il fallait comprendre qu’elle ne pouvait se permettre de se retrouver dans une si mauvaise position.

Alain Sanscartier, VP et directeur des opérations de l’Intrépide de Gatineau / Crédit photo : Vision multisports Outaouais

Et c’est là que je reviens à la reddition de compte de ces OBNL. Dans une organisation solide et intègre, Alain Sanscartier aurait dû être sérieusement questionné par le conseil d’administration de l’Intrépide de Gatineau, mandataire en charge du programme Sport-études à l’École polyvalente Nicolas-Gatineau. On aurait pu s’attendre à ce que certains demandent le départ d’Alain Sanscartier. Les éléments du rapport qui ont mené aux plaintes sont beaucoup trop probants pour laisser faire.

Allez lire la mission et la vision du programme Hockey Concept 2000 de l’Intrépide de Gatineau. La page signée par Sanscartier lui-même est remplie de belles valeurs et d’ambitions nobles.

« […] c’est la qualité des prises de décision qui est primordiale et à la base de toutes les performances »

« Hockey Concept 2000 doit permettre à un jeune d’acquérir des compétences sportives et scolaires mais surtout des valeurs humaines et culturelles […] »

« Notre ambition est de façonner des hockeyeurs de haut niveau qui soient également des citoyens responsables et épanouis dans leur vie sociale, aptes à diffuser les valeurs fondamentales du sport que sont : le goût de l’effort, le dépassement de soi, le respect des règles et surtout le respect d’autrui. »

Je vous laisse interpréter si ces valeurs ont été au centre de l’approche dans le cas qui a été soumis au CPI.

Un adulte responsable mis au courant de tels agissements agit avec force. Avec un niveau d’intensité équivalent à la gravité des gestes posés. Il doit aussi s’assurer de l’encadrement et de la sécurité de tous les jeunes impliqués. Rappelons qu’on parle de jeunes de 14 ans. Et si cet adulte responsable ne prend pas ses responsabilités, c’est à ceux à qui il doit rendre des comptes que cette responsabilité est transférée. C’est-à-dire les membres de l’OBNL, l’Intrépide de Gatineau.

Selon le Registre des entreprises du Québec, la liste des administrateurs nous donne des noms à qui poser des questions pour en savoir plus sur l’interrogatoire serré auquel on a sûrement soumis M. Sanscartier avant de décider de le garder en poste.

  • Karina Sanscartier – secrétaire et personne physique associée à l’organisme (aucun lien de parenté avec Alain)
  • Robert Frenette – président
  • Jean Cloutier – vice-président
  • Julie Bélanger – vice-présidente
  • Yves Isabelle – vice-président
  • Jim Foley – vice-président
  • Marc Lafontaine – vice-président
  • Carole Boileau – trésorière
  • Laudalina Santos – administratrice
  • Sylvie Gagnon – administratrice
  • Alain Brisson – gouverneur
  • Stéphane Danis – représentant Hockey Gatineau (président de Hockey Gatineau)
  • Didier Briand – représentant de la Ville de Gatineau (coordonnateur des sports à la Ville de Gatineau)
  • Donald Plouffe – principal dirigeant / président ex-officio

En faisant quelques appels, j’ai fini par accrocher M. Stéphane Danis. Je l’ai questionné à propos de ce qu’a fait le conseil pour obtenir des explications de la part de Sanscartier. Il m’a alors référé au président du C.A. Robert Frenette. Évidemment, Bob ne retourne pas les appels.

Pas surprenant puisque c’est lui qui avait signé le communiqué publié à la fin octobre par l’organisation de l’Intrépide. D’ailleurs, il terminait en annonçant qu’aucune entrevue ne serait donnée sur le sujet. Conclusion, on se contente d’appliquer la sanction décrétée par le CPI, mais on ne va pas plus loin. Clairement, le conseil d’administration se satisfait d’avoir un directeur des opérations qui va suivre un cours sur l’inclusion et l’ouverture face à la différence et sur les principes de gestion et de résolution de conflit offert par Sport’Aide.

J’ai donc contacté Jocelyn Thibault, le directeur général de la fédération Hockey Québec. Sa position est claire et en partie compréhensible. Il a demandé une enquête dont le rapport a mené à une plainte en bonne et due forme traitée par Comité de protection de l’intégrité (CPI). Après, on peut difficilement reprocher à la fédération de faire ce qu’elle a l’obligation de faire, soit de voir à l’application des sanctions imposées par un comité indépendant du gouvernement.

Néanmoins si elle ne peut pas imposer des sanctions supplémentaires aux individus, la fédération peut sûrement en faire plus au nom de son rôle d’assurer un environnement sécuritaire de développement pour les jeunes. Peut-elle demander à ce que le mandataire agisse ou qu’il soit remplacé par un autre dont les dirigeants sont mieux équipés pour gérer un cas lourd de racisme? Par exemple un adulte qui vit dans les années 2000?

Pourquoi Hockey Québec continue-t-elle de laisser un programme Sport-études entre les mains de ce mandataire? Taboire, on ne parle pas de deux joueurs qui se sont donnés des claques derrière la tête. Hockey Québec peut et doit faire beaucoup mieux.

Là-dessus, Thibault me mentionne qu’il y a une réflexion très sérieuse au sujet de la reddition de comptes qui est faite à la fédération. Hockey Québec est en processus de révision de sa gouvernance et le directeur général m’assure qu’il veut pouvoir harmoniser les façons de faire, notamment pour les programmes de Sport-Études. Le but étant justement de pouvoir mieux contrôler ce qui se passe sur le terrain chez les différents mandataires.

On peut aussi se poser des questions sur ce que fait l’École polyvalente Nicolas-Gatineau. Elle est sûrement très fière de dire qu’elle accueille les joueurs de l’Intrépide chez elle. Cette organisation a permis à des centaines de jeunes au fil des ans de vivre de magnifiques moments à travers leur sport.

Mais l’école ne peut pas laisser passer une telle faute et s’en laver les mains en disant que c’est un organisme qui ne doit des comptes qu’à ses membres. En tant que partenaire dans l’offre de Sport-études en hockey, elle a assurément l’obligation morale de se positionner et demander des changements. Elle ne peut pas accepter l’idée que d’autres élèves risquent d’être aussi mal protégés pendant les heures passés à jouer au hockey. L’école a des comptes à rendre à propos de son inaction.

Ultimement, le centre de services scolaires signe le protocole d’entente qui régit l’association entre l’école et le mandataire. Mais, c’est tout de même l’école qui devait agir devant une situation qui la concernait directement.

Est-ce que madame Valérie Carrier, directrice de l’école Nicolas-Gatineau est satisfaite des gestes posés par l’Intrépide pour s’assurer que de tels gestes ne se reproduisent plus jamais? A-t-elle été consultée quant aux corrections apportées par l’organisme et aux autres changements qui sont à venir? Est-ce que madame Carrier est à l’aise de savoir que ses jeunes élèves-athlètes en hockey doivent croiser Sanscartier et Bertrand? On ne sait pas, elle ne retourne aucun appel.

Et qu’en est-il de Johanne Fournier, directrice des programmes Sport-études à l’école polyvalente Nicolas-Gatineau au moment des faits? Pourquoi a-t-elle quitté ses fonctions? A-t-elle questionné Sanscartier et sa gang ou fait-elle partie de ceux qui ne veulent pas risquer de représailles? À moins qu’elle n’ait fait partie de ceux qui ont mal géré la situation au départ…

Je termine en vous soumettant cet autre cas de figure qui pourrait entraîner des enjeux de gestion et de reddition de comptes. Quand une personne employée d’une fédération sportive est aussi dirigeante au sein d’un OBNL mandataire, est-ce qu’on doit y voir un conflit d’intérêt?

Ce n’est pas hypothétique. Il y a plusieurs cas, notamment au basket et au judo. Ceci dit, le point n’est pas de cibler ces derniers comme des gens qui font quoi que ce soit de mal. Au contraire, ce sont des gens très impliqués dans leur sport qui ont vu des besoins et qui ont mis sur pied des organisations pour offrir un service. Leurs intentions ne sont assurément pas mauvaises. Mais un parent fait quoi quand il a un problème avec un mandataire s’il ne peut pas aller en parler à la fédération parce que ce sera la personne dont on veut se plaindre qui répondra au téléphone?

Il y a aussi un élément monétaire là-dedans. S’occuper d’un OBNL dont les membres sont des amis ou de la famille permet de s’octroyer des salaires intéressants. Parfois et souvent au détriment des entraîneurs, soit dit en passant. C’est correct de faire des sous avec son entreprise. Mais quand on a affaire avec des instances comme des fédérations sportives et des écoles, il faut minimalement devoir rendre des comptes.

Bref, pas mal d’éléments à revoir pour aider les fédérations sportives à faire leur travail de vérification. Et la solution n’est pas de créer plus de paperasses, mais de leurs donner plus de moyens.

Madame la Ministre, vous en pensez quoi?